Un Vice Humain


La mort se définit par l’arrêt complet du fonctionnement de l’organisme. Son champ lexical se compose de mots tels que: peine, deuil, souffrance et agonie, tous des thèmes plutôt tristes. Il me semble que, par définition, la mort devrait être triste, même tragique, un évènement marquant. Cependant, souvent, lorsque l’on entend parler de dizaines, de centaines ou même de milliers de morts dans des pays lointains ou même juste dans une autre province ou un autre état, nous, la société d’aujourd’hui, semblons avoir un détachement émotionnel, une indifférence, face aux nombreux décès puisque nous ne nous sentons pas impliqués. Un exemple de notre désengagement pourrait être observable lorsque nous apprenons des nouvelles tragiques à la télévision ou sur internet. En premier temps, la plupart d’entre nous sommes choqués, la mort est une chose terrible se dit-on. Puis, on ferme nos la télévision, nos cellulaires, et tout comme les images sur nos écrans, la nouvelle semble s’évaporer, elle n’existe plus. Notre révolte aura durée quelques secondes et sera tout de suite oubliée pour que l’on retourne à notre vie quotidienne. Boris Vian, lui, l’a remarqué et a fait une des meilleures dénonciations et ridiculisation de ce terrible vice de notre société dans son roman L’écume des Jours. En effet, il est apparent qu’il moque cette nature humaine de par l’absurdité de ses mises en scène de la mort, sanglantes, mais surtout insignifiantes au cours de l’histoire. Nous pouvons aussi remarquer que la mort d’étrangers, comparée à celle des proches des personnages principaux, est beaucoup plus violente et terrible. Dans les premières 50 pages du roman, l’on voit déjà la nature égocentrique et insouciante des personnages. Lorsqu’une dizaine de personnes meurent d’un accident sur une patinoire sous les yeux des héros de l’histoire, ceux-ci « firent une courte prière et reprirent leur giration. ». Comme nous, bien qu’un peu plus intenses, les personnages reprirent le cours de leur journée comme si ils ne venaient pas d’être confrontés à la mort. L’on peut comprendre que Vian essayait de démontrer que lorsqu’une tragédie ne nous concerne pas, nous perdons toute empathie. Un autre exemple, encore plus farfelu, se déroule lors d’un mariage. Au début de la cérémonie le chef d’orchestre tombe à sa mort sur des dalles, et pour bloquer le bruit de la chute, l’orchestre joue plus fort! Insensible non? Mais encore pire, aucune attention ne lui est portée, le chef d’orchestre est simplement remplacé, et la cérémonie continue. Vian nous montre par cette satire du détachement émotionnel de notre société, qu’en fait, nous sommes tous un peu trop égocentriques, seulement soucieux lorsque la mort nous implique.



Quelques temps après la fusillade d’une école de Denver, un artiste surnommé Matador produit une oeuvre politique intitulée Gun School Zone. Celle-ci se constitue de 3 panneaux ressemblant à des signes routiers. Le premier est d’un jaune vibrant et dit « SCHOOL », le deuxième met en scène un dessin d’arme à feu, le dernier, lui, est la cerise sur le sunday,  l’on peut lire: « 7:00 AM to 4:00 PM thought & prayer expected ». Tout comme Boris Vian, l’artiste dénonce l’incapacité de compassion de la part de la population et du gouvernement face à la mort de leurs propres concitoyens. Tout comme les personnages de L’écume des Jours à la patinoire, « Chick, Alise et Colin firent une courte prière et reprirent leur giration. », beaucoup d’américains ne font qu’envoyer une prière aux familles des victimes et continuent leur journée, indifférents. C’est cela que représente le dernier panneau « 7:00 AM to 4:00 PM thought & prayer expected ». C’est aussi un petit coup à Donald Trump, le président des États-Unis qui répète sans cesse qu’il envoie des pensées et des prières à la place d’agir. De plus, la mort ici (les morts qui ont inspirées les panneaux) est d’une grande violence tout comme pour la mort des étrangers dans le roman de Boris Vian. En effet, les armes à feu, mais surtout la haine qui pousse à l’acte de tirer d’innocents jeunes, sont preuve d’un atrocité encore pire que les scènes où l’on retrouve la mort dans L’écume des Jours. Pour moi, cette oeuvre de Matador a une grande signification, celle d’une terrible injustice où les jeunes risquent leurs vies tous les jours en allant à l’école à cause d’une décision prise par des adultes qui, fort souvent, ne sont pas concernés. Je ressent une immense compassion pour tous ces jeunes qui perdent leurs vies, mais tout comme vous, chers lecteurs, je ne suis qu’humaine. Boris Vian avait certainement raison de nous moquer pour ce vice qu’est notre détachement émotionnel, car, après cette rédaction, je n’y penserai plus à ces jeunes. Je retournerai à ma vie quotidienne, insouciante.



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