La beauté du naïf



L’écume des jours de Vian traite de manière naïve la notion de l’amour. La citation d’Alexandre Dumas « Quel sublime enfantillage que l’amour! » se rapporte très bien au roman. En effet, plusieurs passages témoignent de manière délicieuse la beauté et la tendresse que l’on peut vivre en relation amoureuse, telles qu’aux pages 91, 132 et 139. Ma préférée: « Son coeur battait vite, comme serré dans une coque trop dure. Colin passa son bras autour des épaules de Chloé, et prit le cou gracieux entre ses doigts, sous les cheveux, comme on prend un petit chat.
- Oui, dit Chloé [...], touche-moi, j’ai peur toute seule (p.132). »
Vian laisse paraître une envie d’être touché, d’être aimé à travers ces passages doux. La manière dont Chloé et Colin se rencontrent est aussi très douce et mignonne, mais ô combien enfantine! Colin l’approche en lui demandant si elle est « arrangée par Duke Ellington » (p.71), référence au standard jazz « Chloe » de Duke Ellington. Il bafouille et s’enfuit immédiatement, persuadé d’avoir fait une bêtise. Il y a aussi la manière dont Colin en vient à vouloir une relation, d’abord avec Alise puis avec Chloé: par pur désir de posséder ce que l’autre détient déjà (Chick), comportement typiquement enfantin. Tous ces passages nouent le sublime au frivole, puisque les personnages se comportent de manière naïve, ne cherchant que le ludique d’une relation, mais ce qui en ressort, les paroles et moments tendres, sont magnifiques, autant pour les personnages que pour le lecteur. Vian use l’esthétisme non seulement pour l'environnement de ses personnages, mais aussi pour leurs relations. Chaque mot est soigneusement choisi. J’observe parfois autour de moi des relations qui me font penser à celle de Colin et Chloé, belles mais en quelques sortes insignifiantes. À dix-sept ans, il est difficile de croire qu’on passera sa vie avec la même personne, mais toutes nos expériences font partie de notre jeunesse, et c’est pour cela que nous nous permettons de faire des erreurs, de vivre des relations que nous savons éphémères et d’en retirer quelque chose de nouveau.

J’ai choisi comme oeuvre le grand classique My Funny Valentine. Cette pièce est pertinente pour plusieurs raisons, outre sa notoriété dans le monde du jazz. Les paroles ressemblent drôlement au contenu du livre, en commençant par :
« Is your figure less than greek?
[ Votre silhouette est-elle moins que grecque? ] ». L’accent est mis sur la beauté en comparant la silhouette du bien-aimé à celle des Grecs, qui représentent leurs dieux et héros de la mythologie de manière grandiose, ne laissant aucun muscle ou courbe de côté. Dans le livre, le physique prime sur le psychologique. On ne retrouve que des descriptions des habits, des traits du visage, des cheveux et du corps des personnages. Chloé est la première à y passer, avec toutes les descriptions des robes et manteaux qu’elle porte pour diverses occasions, et on n’omet certainement pas de mentionner maintes fois la beauté de la couleur de ses cheveux et de ses lèvres. Dans la chanson, l'importance de l’apparence est encore mise de l’avant avec les paroles « Yet you’re my favorite work of art [ Vous êtes mon oeuvre d’art préférée ] ». Un autre extrait de paroles qui se rapproche d’un passage du livre est:
« But don’t change a hair for me
Not if you care for me

[ Mais ne changez pas d’un cheveux si vous tenez à moi ] ». On comprend que le narrateur est profondément amoureux du « sujet » de la chanson, et qu’il ne veut pas qu’elle change quoi que ce soit pour lui (noter ici que j’applique la relation de Colin et Chloé à la chanson et que je me permets de choisir les pronoms, qui sont laissés libres à l’interprétation dans la pièce originelle..) Il l’apprécie donc comme elle est, et c’est exactement ce que l’on retrouve dans L’écume des jours. À la page 139, Chloé demande à Colin s’il aime ses cheveux, ce à quoi il répond qu’il l’aime « bien, en gros et en détail.» Ces deux œuvres que j’apprécie beaucoup se ressemblent sur plusieurs points, mais My Funny Valentine ne possède pas le côté cynique est morose de L’écume des jours. J’ai fini ma lecture triste et un peu abattue. Quand j’écoute My Funny Valentine, je me laisse bercer par la ligne de contrebasse qui est pesante et grave, et quand les premiers accords de piano se font entendre, je suis persuadée que l’amour peut être éternellement beau et doux.

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